« Le monde doit être regardé
comme l’expression d’un ensemble de choses invisibles
manifestées visiblement.
(…) il n’y a qu’un monde, car la matière n’est rien.»
Toutes les conceptions de Joseph Maistre (1753-1821) portant sur les desseins de la divine Providence au cœur de l’histoire, la condition de l’homme, sa chute et sa possible « réconciliation » avec Dieu, sa vigilante attention appliquée aux lois de l’analogie mettant en lumière la correspondance entre ce qui est en haut et ce qui est en bas, le monde regardé comme l’expression, selon la phrase de saint Paul, reprise par Maistre dans le « Xe Entretien » des Soirées de Saint-Pétersbourg, d’un « ensemble de choses invisibles manifestées visiblement (…) » – rajoutant : « Il n’y a rien de si visible que les liens des deux mondes ; on pourrait même dire, rigoureusement parlant, qu’il n’y a qu’un monde, car la matière n’est rien» -, participent, de toute évidence, des éléments doctrinaux reçus et rencontrés au sein du Régime écossais rectifié.
C’est le dessein de Dieu sur l’histoire du monde, son plan, que Maistre cherchait à découvrir derrière la chronologie des événements, c’est cet « esprit recteur » qu’il décela dans l’œuvre de transformation politique, morale et religieuse qui modela les nations au cours du temps : « Parce que les hommes sont sortis des voies primitivement tracées par Dieu à leur action, Dieu, dont le plan doit aboutir avec ou sans nous, pour ou contre nous, ramène nos volontés coupables à son ferme dessein par les souples initiatives de sa rédemption, touches intimes par lesquelles nous pouvons acquiescer à la souffrance comme à une prévenance divine et utiliser par notre acceptation les sursis de la toute-puissante Bonté. » [1]
Si cet enseignement eschatologique et métaphysique exista, on peut donc légitimement se demander s’il se trouve préservé aujourd’hui et où ?
I. La Maçonnerie rectifié est issue de la « vraie religion éternelle »
La réponse à cette question est claire pour Maistre, c’est la franc-maçonnerie rectifiée – c’est-à-dire enrichie, transformée et devenue dépositaire de la doctrine de Martinès de Pasqually -, « branche détachée et peut-être corrompue d’une tige ancienne et respectable », qui seule est détentrice de cet antique savoir. Il est incontestable qu’elle puise ses fondements dans une initiation bien antérieure aux Templiers, son but premier étant de retrouver les éléments épars de la science sacrée, les clés de la Révélation primitive, « base de la vraie religion éternelle. » [2]
« ...nous ne sommes pas enfants de l’esclave, mais de la femme libre. »
Maistre, suivant en cela Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), en fit une vérité centrale du Régime écossais rectifié, à savoir que l’Incarnation du Verbe a profondément modifié, pour tous les hommes, les bases historiques de la vie religieuse ; le caractère « libérateur » de la Parole du Christ change radicalement les données classiques du rapport à Dieu et au culte qui lui était rendu depuis la chute. Comme le dit saint Paul : « ...nous ne sommes pas enfants de l’esclave, mais de la femme libre. » (Gal. IV, 31.)
Cet aspect du message évangélique fait l’objet d’un regard spécial de la part de Maistre ; cette possibilité offerte à l’humanité de communier, par le sacrifice du Fils, aux mystères les plus secrets de l’intimité du Père, sont pour lui une occasion de pousser plus avant encore sa pensée.
« Le christianisme a changé le cœur de l’homme. Il a épuré toutes les croyances dont la base n’était point fausse, mais qui s’étaient corrompues, rectifiant les cultes (…) Il a, en un certain sens, soulevé le voile épais qui cachait aux peuples la face de l’antique Isis, appelant tous les hommes à l’héritage du Père, initiant les foules aux mystères essentiels réservés jusqu’alors jalousement. (…). »
Le christianisme pour Maistre « a changé le cœur de l’homme. Il a épuré toutes les croyances dont la base n’était point fausse, mais qui s’étaient corrompues, rectifiant les cultes et faisant cesser les abus criminels. Il a, en un certain sens, soulevé le voile épais qui cachait aux peuples la face de l’antique Isis, appelant tous les hommes à l’héritage du Père, initiant les foules aux mystères essentiels réservés jusqu’alors jalousement. (…) Jésus est l’Initié par excellence, l’Initié absolu, l’éternel confident de la Sagesse du Père. L’humanité qu’il a revêtue, il l’a conduite au plus haut degré de la connaissance, il l’a fait entrer transfigurée dans le Royaume de Dieu. (…) A tous ceux qui veulent s’unir mystiquement à lui il est venu apporter ce royaume. En vivant, en nous mouvant dans le Christ ressuscité, initié d’un genre unique, nous sommes initiés nous-mêmes aux mystères éternels de la Vie. » [3]
Le christianisme, pense Maistre, est le couronnement des religions, « La Religion » par définition, celle qui conduit à son maximum de profondeur l’exigence métaphysique universelle, celle qui recèle les mystères ineffables malheureusement oubliés par les prêtres, celle qui « révèle l’homme à l’homme. » (Du Pape, liv. III, ch. I.) Celle qui est, selon la belle expression de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) : « Le terme est le repos de toutes les religions. » (Le Ministère de l’Homme Esprit), la religion de pure intériorité, ce christianisme transcendant, ce « plus pur esprit du christianisme », si essentiel au Régime écossais rectifié, mettant secrètement en œuvre l’indicible travail de déification, de réintégration qui, dans la paix de « l’Absolu Silence », dévoile dans le cœur de chaque homme la surnaturelle Lumière de l’Esprit.
II. Le christianisme comme vraie et authentique initiation
Pour les fondateurs du Régime, ceux qui portèrent le nouveau système pensé lors du Convent des Gaules en 1778 à la visibilité de la vie maçonnique, Moïse sut réaliser la synthèse brillante des mystères de la Tradition, et la scella « sous le triple sceau des mots sacrés du Bereschit » ; cette Tradition se poursuivit par les Prophètes de l’Ancien Testament et fit l’objet d’une étude serrée de la part de certains milieux qui se penchaient, dans le plus grand secret, sur les « arcanes » de la science divine.
« Cédons à l’amour et entrons dans la voie royale
qui aboutit à la Cité Sainte. »
D’ailleurs Maistre, profondément marqué par la lecture des écrits d’Origène (IIIe s.), croit en l’existence d’une tradition secrète, d’une discipline réservée, d’une science de « l’Arcane », ce qui l’amène à affirmer, que « le christianisme, dans les premiers temps, était une vraie initiation où l’on dévoilait une véritable magie divine. »[4]
Ceci explique d’ailleurs parfaitement pour lui les propos de saint Paul sur le lait réservé à la foule, et la nourriture solide donnée uniquement aux parfaits : « Je vous ai donné du lait et non pas une nourriture solide ; car vous n’en n’étiez pas capables, et vous ne l’êtes pas même maintenant, puisque vous êtes encore charnels… Or quiconque n’est nourri que de lait ne comprend rien aux discours de la Sagesse, parce qu’il est enfant. Mais la nourriture céleste est pour les parfaits. » (I Cor., III, 2 et Heb., VI, 12-14.)
Maistre, tel un visionnaire, annonce : « le royaume de Dieu arrivera sur la terre comme au ciel » (Mélanges A), et pour hâter ce temps libérateur, il nous demande, tel qu’il le formulera dans le Mémoire qu’il fit parvenir le 17 juin 1782 au duc de Brunswick dans la perspective de la préparation du Convent de Wilhelmsbad, de travailler d’abord à réaliser l’union des Eglises chrétiennes qui restaurera la robe sans couture, puis, en forme d’instante prière, déclare : « Cédons à l’amour et entrons dans la voie royale qui aboutit à la Cité Sainte. » [5]
Afin que nos esprits restent impérativement en état d’éveil, de manière à être capables d’entrer dans la voie royale qui nous conduit aux portes de la Cité Sainte, le comte savoisien nous donne ce solennel avertissement que l’on prendra soin de méditer avec attention : « Il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l’ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs. Des oracles redoutables annoncent déjà que les temps sont arrivés. » [6]
III. Le Mémoire au duc de Brunswick
Jean-Baptiste Willermoz avait fait parvenir à Maistre les statuts, rituels, les instructions ainsi que diverses pièces secrètes portant sur la nature même du travail ésotérique.
Ces instructions, lui écrit Willermoz dans une lettre du 9 juillet 1779 tout en le félicitant pour la qualité de ses dispositions, sont susceptibles de lever les doutes que vous pouvez avoir sur la doctrine, non sans les avoir étudiées à fond, « étant admis d’abord les dogmes de l’existence de Dieu, de la spiritualité et de l’immortalité de l’âme. Mais cette étude doit être des plus sérieuse. il n’y a pas un seul mot qui n’eût besoin d’être médité avec la plus grande attention ». [7]
« Faisons-nous une généalogie claire et digne de nous… Remontons aux premiers siècles de la loi sainte, fouillons l’antiquité ecclésiastique, interrogeons les pères l’un après l’autre, réunissons, confrontons les passages, montrons que nous sommes chrétiens… Allons même plus loin : la vraie religion a bien plus de dix-huit siècles. Elle naquit le jour que naquirent les jours »
Willermoz précise que, tout en devant se mettre au-dessus des préjugés « acquis ou naturels » pour pourvoir faire une lecture fructueuse de ces textes, Maistre devra « écouter la voix de son cœur, principe de conviction intérieure dans une affaire où l’homme raisonnable ne doit point en espérer d’extérieure. Car, déclare-t-il, les systèmes philosophiques laissent des vides qui affligent et tourmentent l’homme, alors que cette doctrine offre une chaîne dont tous les chaînons sont liés à leur place et vous présentent un ensemble qui explique et démontre à votre intelligence tout l’univers intellectuel et physique (…), votre propre existence comme homme avec tous les rapports qui vous lient en cette qualité au reste de l’univers et à son auteur. Après l’avoir encouragé à ne rien attendre des hommes, il insiste sur le fait que le feu qui doit nous éclairer, nous échauffer est en nous, et un désir pur, vif et constant est le seul soufflet qui puisse l’embrasser et l’étendre ». C’est donc la lettre d’un conseiller et d’un guide que reçoit Maistre, d’un maître qui invite à une étude approfondie des vérités métaphysiques ignorées de la raison commune, obscurcies par la passion et voilées aux regards grossiers de l’homme.
*
La lettre circulaire du duc de Brunswick demandait aux frères répondent aux six questions suivantes : 1) – L’Ordre repose-t-il sur une convention ou bien a-t-il pour but une société ancienne et laquelle ? 2) -Existe-t-il des Supérieurs Inconnus et lesquels ? 3) – Quelle est la fin véritable de l’Ordre ? 4) – Est-ce la restauration de l’Ordre du Temple ? 5) – De quelle façon le cérémonial et les rites doivent-ils être organisés pour tendre à la perfection ? 6) – L’Ordre doit-il s’occuper des sciences secrètes ?
Comme on le voit, étaient soulevés dans cette enquête l’ensemble des problèmes qui agitaient de manière importante la Stricte Observance, mais qui, également, et plus globalement aussi, intéressaient la Maçonnerie en général au XVIIIe siècle, dans la mesure où on touchait ici à des questions fondamentales portant précisément sur l’origine, la finalité et la nature de cette société particulière qui, pour beaucoup de profanes comme pour le plus grand nombre des initiés, restait l’objet d’un mystère impénétrable.
Maistre croit « à la réalité d’une science qui peut mettre l’homme en communication avec des intelligences d’ordre supérieur ; il tient pour acquis que le christianisme, dans les premiers temps, était une véritable initiation où l’on dévoilait une véritable magie divine. Maistre en concluait qu’à la même époque une élite d’initiés avait eu accès à certaines vérités inconnues du plus grand nombre. Il est donc naturel que les martinistes, qui observaient généralement la pratique du catholicisme mais vivaient, eux aussi, d’un catholicisme supérieur, lui aient inspiré une certaine sympathie » [9].
C’est donc avec une réelle assurance et une force de conviction visible, qu’il développe ses arguments en rédigeant son « Mémoire » qui ne comprend pas moins de soixante quatre pages d’une écriture serrée.
Maistre, pour ce qui concerne la première question de la lettre circulaire, ne fait aucun crédit à la thèse templière, et nous livre même à cette occasion une opinion franchement négative à l’égard de l’Ordre du Temple. « Si nos cérémonies sont vraiment l’emblème des vicissitudes de l’Ordre des T(empliers), il ne nous reste que le regret d’avoir été maçons ; car nous aurons employé dans ce cas notre temps et nos facultés d’une manière bien peu philosophique…Il fait, en forme de synthèse générale, apparaître une idée centrale qui ne le quittera plus, celle de la primitive origine de la vraie religion dont témoigne dans ses mystères la Franc-maçonnerie : « Faisons-nous, dit Maistre, une généalogie claire et digne de nous… Remontons aux premiers siècles de la loi sainte, fouillons l’antiquité ecclésiastique, interrogeons les pères l’un après l’autre, réunissons, confrontons les passages, montrons que nous sommes chrétiens… Allons même plus loin : la vraie religion a bien plus de dix-huit siècles. Elle naquit le jour que naquirent les jours ». [10]
IV. La réunion des églises chrétiennes autour de l’idée du « christianisme transcendant »
Il y donc pour Joseph de Maistre, comme pour les fondateurs du Régime rectifié, une incomparable supériorité « initiatique » du christianisme, et il est vain et inutile de chercher une source plus « pure » à l’initiation maçonnique : « Attachons-nous à l’Evangile et laissons-là les folies de Memphis… Remontons à l’origine des choses et montrons par une filiation incontestable que notre système réunit au dépôt primitif les nouveaux dons du Grand Réparateur ». Comme le dit fort bien et avec pertinence Emile Dermenghem, «L’opinion personnelle de Maistre est très nette : l’initiation maçonnique, la science occulte moderne sont d’essence absolument religieuse et chrétienne. Il semble même qu’à son avis la véritable source de l’initiation doive être cherchée dans le christianisme primitif, épuration et épanouissement lui-même d’une tradition plus ancienne, en un mot dans la kabbale judéo-chrétienne ». [11]
« Il serait temps d’effacer la honte de l’Europe et de l’esprit humain. A quoi nous sert de posséder une religion divine, puisque nous avons déchiré la robe sans couture, et que les adorateurs du Christ, divisés par l’interprétation de son Livre Saint, ne sont portés à des excès qui feraient rougir l’Asie ? … Ne serait-il pas digne de nous proposer l’avancement du christianisme comme un des buts de notre Ordre ? »
Ainsi, les frères de l’Ordre devront tout spécialement se consacrer à la « réunion des églises chrétiennes et l’instruction des gouvernements », ils auront pour tâche de rechercher « tout ce qui peut contribuer à l’avancement de la religion, à l’extirpation des opinions dangereuses, en un mot à élever le trône de vérité sur les ruines de la superstition et du pyrrhonisme » ; il y a là un des projets les plus essentiels pour Maistre, celui qui lui inspire peut-être le passage le plus éloquent, du point de vue politique, de son Mémoire.
Et il faut bien le reconnaître, l’unité de la chrétienté, à laquelle Maistre aspire, représente pour lui un objectif prioritaire de par l’état inquiétant dans lequel se trouve l’Europe. Aussi ne manque-t-il pas de dire : « Il serait temps d’effacer la honte de l’Europe et de l’esprit humain. A quoi nous sert de posséder une religion divine, puisque nous avons déchiré la robe sans couture, et que les adorateurs du Christ, divisés par l’interprétation de son Livre Saint, ne sont portés à des excès qui feraient rougir l’Asie ? … Ne serait-il pas digne de nous proposer l’avancement du christianisme comme un des buts de notre Ordre ? » [12]
« Nous travaillerons lentement mais sûrement… Comme, suivant l’expression énergique d’un ancien Père, l’univers fut autrefois surpris de se trouver aryen, il faudrait que les chrétiens modernes se trouvassent surpris de se voir réunis »
Puis, Maistre poursuit dans le même sens, en insistant, avec un sens politique et tactique déjà fort pertinent que l’on retrouvera plus tard dans ses écrits, sur une méthode ingénieuse capable de contourner de nombreux obstacles : « Ce projet aurait deux parties, car il faut que chaque communion travaille par elle-même, et travaille à se rapprocher des autres. Sans doute cette entreprise paraîtra chimérique à bien des frères, mais pourquoi ne tenterions-nous pas ce que deux théologiens, Bossuet et Molanus, tentèrent dans le siècle passé, avec quelque espérance de succès ?… Jamais cependant cette réunion n’aura lieu, tant qu’elle se traitera publiquement. La religion ne doit plus être considérée de nos jours que comme une pièce de la politique de chaque Etat, et cette politique est d’un tempérament si irritable ! Dès qu’on la touche du bout du doigt, elle entre en convulsion. L’orgueil théologique fera naître de nouveaux obstacles, en sorte que cette grande entreprise ne peut se préparer que sourdement… Nous travaillerons lentement mais sûrement… en établissant des comités de correspondance composés surtout des prêtres des différentes communions… agrégés et initiés à l’Ordre. Comme, suivant l’expression énergique d’un ancien Père, l’univers fut autrefois surpris de se trouver aryen, il faudrait que les chrétiens modernes se trouvassent surpris de se voir réunis ». [13]
Conclusion : le Régime rectifié doit se consacrer à la « révélation de la Révélation »
Nous sommes donc en présence d’un vaste projet, projet de rétablissement de « l’unité chrétienne », projet également de combat contre l’indifférence en matière religieuse, à un moment où la « libre pensée », le scientisme, prenaient une importance considérable dans les esprits, et où les ferments viciés d’une fausse conception du laïcisme se répandaient dangereusement et donneront les fruits amers que nous savons en 1792 : « au moment où le christianisme a perdu tant de terrain dans les esprits et où les faux savants, arrachant le froment de l’ivraie, ont guéri les préjugés « comme la gangrène guérit la douleur » [14]
« Que d’autres, que leur génie appelle aux contemplations métaphysiques, cherchent… les preuves de notre doctrine. Que d’autres enfin (et plaise à Dieu qu’il en existe beaucoup!) nous disent ce qu’ils ont appris de cet esprit qui souffle où il veut, comme il veut et quant il veut.»
Maistre voulait faire du Régime rectifié l’instrument effectif du redressement de la foi et de la religion, mais selon une conception « transcendante et œcuménique », loin de tous les dogmatismes, et d’ailleurs, abordant la connaissance du « christianisme transcendant », Maistre le désigne comme devant être consacré, selon l’expression magnifique qu’il emploie, à la « révélation de la Révélation », à la connaissance sublime car, « tout homme entraîné vers les croyances chrétiennes sera nécessairement ravi de trouver la solution de plusieurs difficultés pénibles dans les connaissances que nous possédons ». [15]
C’est l’ouverture vers la contemplation des vérités sacrées et de la connaissance de mystères oubliés par l’Eglise depuis le VIe siècle, préparation initiale à leur mise en œuvre, et surtout leur exposition doctrinale complète, au sein de la classe non ostensible de l’Ordre.
C’est le temps de la recherche approfondie au sujet de la nature initiatique du christianisme, du sens réel des allégories sacrées, des mystères de l’Ecriture : « Que les uns s’enfoncent courageusement dans les études d’érudition qui peuvent multiplier nos titres et éclaircir ceux que nous possédons. Que d’autres, que leur génie appelle aux contemplations métaphysiques, cherchent dans la nature même des choses les preuves de notre doctrine. Que d’autres enfin (et plaise à Dieu qu’il en existe beaucoup!) nous disent ce qu’ils ont appris de cet esprit qui souffle où il veut, comme il veut et quant il veut.» [16]
Nous sommes donc, comme nous le constatons, en présence d’un authentique programme de connaissance ésotérique, d’une « voie », au sens traditionnel du terme, d’illumination intérieure, d’intériorisation de la foi et de son épanouissement métaphysique au cœur des frères, dans la vivante et concrète incarnation, en chacun, du « christianisme transcendant ».
Tout Maistre se trouve dans ces lignes, dans ce véritable « Manifeste » de nature spirituelle et métaphysique, mais également toute la perspective métaphysique, eschatologique et doctrinale du Régime rectifié.
Joseph de Maistre pressentait bien que les temps sont proches où “ l’homme revêtu de son corps de gloire ”, sera enfin reçu au sein de “ l’Unité ”, réintégré dans sa véritable nature divine, dans sa première propriété, vertu et puissance spirituelle primitive, non-séparé de sa véritable origine.
Les temps viendront où la tête du serpent sera écrasée et où la céleste et sainte Jérusalem avec ses douze portes descendra avec éclat (Ap. XXI), car en effet les temps arrivent où l’homme retrouvera son héritage perdu, où il recevra de nouveau son habit de blancheur, abandonnant pour toujours ses terribles et insupportables “ habits de peau ” dont il fut recouvert pour sa plus grande honte, car “ les âmes ayant péché en s’éloignant de leur Créateur, ont mérité d’être enfermées en divers corps comme dans une prison …et c’est là le monde actuel. ” (Mélanges B, 2 déc. 1797) ; ce sont là les ténèbres obscures de la corruption et de la génération dans lesquelles l’humanité fut emprisonnée et dans lesquelles elle gémit depuis des siècles pour sa punition et dont elle aspire, légitimement, à être définitivement libérée.
Maistre, tel un visionnaire, annonce donc en conclusion : “ Lorsque ce qui est en dehors, (…) lorsque la vie ou la génération extérieure sera devenue semblable à la vie intérieure ou angélique. Alors il n’y aura qu’une naissance. Il n’y aura plus de sexe. Le mâle et la femelle ne feront qu’un et le royaume de Dieu arrivera sur la terre comme au ciel.” (Mélanges A.)
Notes.
1. Abbé Louis Carret, Finesse et géométrie dans Joseph de Maistre, Paillet, 1937, p. 66.
2. J. de Maistre, Mémoire au duc de Brunswick, 1782.
3. E. Dermenghem, Joseph de Maistre mystique, La Colombe, 1948, pp. 186-187.
4. J. de Maistre, Essai sur le principe Générateurs des constitutions politiques, § 15, 1814.
5. J. de Maistre, O.C., t. VIII, 1834, p. 403.
6. J. de Maistre, Soirées de Saint-Pétersbourg, , XIe Entretien, 1821.
7. J-B. Willermoz, Les Sommeils, La Connaissance, 1926, p. 163.
8. Ibid., pp. 163-168.
9. C.J. Gignoux, Joseph de Maistre, Prophète du Passé Historien de l’Avenir, N.E.L., 1963, pp. 38-39.
10. Joseph de Maistre, Œuvres, vol. II, op. cit., p. 97.
11. E. Dermenghem op.cit., p. 97. Nous croyons utile de signaler que ce nom de « Grand Réparateur », que l’on retrouve ici dans le Mémoire de Joseph de Maistre, est celui-là même utilisé par Martinès de Pasqually et les élus coëns, pour désigner le Christ, venant dans le monde rétablir les équilibres rompus, montrer le chemin de la « Réintégration » et, enfin et surtout, « réparer » les dramatiques conséquences de la chute.
12. J-B. Willermoz, Les Sommeils, op.cit., p. 106.
13. Ibid., pp. 107-108.
14. Emile Dermenghem fait remarquer avec justesse, que « ce passage prouve que, dès cette date, Maistre a conçu sa fameuse théorie de la superstition, déjà il la juge préférable au pyrrhonisme, et il y cherche un « résidu divin ». (E. Dermenghem, op. cit., p. 67).
15. Joseph de Maistre, op. cit., 109.
16. Ibid., p. 112..