L’Ordre et la « sainte religion chrétienne »

4816e White Cope

Il faut le reconnaître, il perdure d’importantes confusions à propos du Régime Ecossais Rectifié, sur lequel de très nombreuses méprises sont énoncées, troublant notablement la nature même de cet Ordre, car s’en est un, qui est certes chrétien en son essence, mais d’un christianisme dit « transcendant », qui n’a strictement rien à voir avec une conception dogmatique qui est étrangère au système initiatique édifié par Jean-Baptiste Willermoz, en effet dépositaire d’un enseignement doctrinal introduit lors du Convent des Gaules en 1778.

a) Une double stratégie initiatique

Il y a clairement, afin d’accéder au cœur doctrinal du Régime rectifié, que ce dernier désigne sous le nom de « Sanctuaire », une double stratégie à l’intérieur du système édifié par Willermoz :

1°) celle visant à accroitre dans les âmes leur adhésion à la « sainte religion chrétienne » ;

2°) une autre leur faisant entrevoir des vérités contenues secrètement par le christianisme défini comme étant une authentique initiation.

Ainsi, de la formule du Serment au Grade d’Apprenti : « …je m’engage….d’être fidèle à la sainte religion chrétienne…» (Rituel du 1er Grade, 1802), jusqu’à la Profession de Foi de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte : « faisant profession publique de la religion chrétienne, ainsi que de la doctrine et des vérités évangéliques qu’elle  enseigne… » (Rituel du 6e Grade de C.B.C.S., 1784), se retrouvent les mêmes déclarations faisant proclamer aux Frères leur attachement à la religion chrétienne et ses vérités.

C’est ce que souligne la Règle maçonnique : « Rends donc grâce à ton Rédempteur ; prosterne-toi devant le Verbe incarné, et bénis la Providence qui te fit naître parmi les chrétiens. Professe en tous lieux la divine Religion du Christ, et ne rougis jamais de lui appartenir. L’Evangile est la base de nos obligations ; si tu n’y croyais pas, tu cesserais d’être Maçon. » (Règle maçonnique ARTICLE I. Devoirs envers Dieu et la Religion, 1802).

b) Les confusions issues de la double stratégie initiatique

Cette double stratégie, mélant adhésion au christianisme et approche de connaissances secrètes – qui égare certains et les conduit à prendre l’écorce pour le noyau – ne vise en réalité qu’à laisser entrevoir le voile posé sur des vérités cachées de la religion chrétienne, qui la perfectionnent, l’enrichissent et l’éclairent sur plusieurs points particuliers.

On remarquera, par exemple, que la Profession de Foi des Chevaliers reste très évasive sur la nature de la vie post mortem, faisant dire à l’impétrant : « Je crois à la vie future et éternelle, dans laquelle chacun recevra suivant qu’il l’aura mérité », impétrant qui récitera croire à l’Eglise de ceux réunis par la foi, non en des « dogmes », mais en Jésus-Christ :  « Je crois enfin à la Sainte Eglise universelle et apostolique, visible et invisible, des membres réu­nis par la foi en notre Seigneur et divin Maître Jésus-Christ. » [1]

Et il n’est pas étonnant que les termes de cette Profession de Foi soient très évasifs, puisque précisément, sur ce sujet, l’enseignement ultime de l’Ordre soutient que l’existence de l’homme après le jugement dernier, lors de la résurrection des morts, sera d’une nature non-corporelle, immatérielle et purement spirituelle.

On est donc là, objectivement, face à des positions qui ne relèvent pas du dogme de l’Eglise, mais participent d’un corpus doctrinal qui confère au Régime rectifié une nature singulière dans le domaine du christianisme, corpus sensible à tous les Grades évidemment, mais qui est conservé pleinement dans le « Sanctuaire » plus haut évoqué.

Certaines allusions dans l’Instruction du rituel du dernier Grade ostensible du Régime sont, à cet égard,  fondamentales. On y lit des indications extrêmement importantes qu’il convient de ne pas négliger sous peine de se méprendre entièrement sur la nature du Régime rectifié et du christianisme que l’on y enseigne.

Pélican

c) Le Régime rectifié ouvre sur le « Sanctuaire »

Voici ce qu’on peut entendre :

« Comme Maçon symbolique, vous en avez étudié la structu­re et les dehors ; comme Novice vous êtes entré dans le porche ; comme Chevalier, vous venez d’être admis dans le Temple même et les portes du sanctuaire vous sont ouver­tes ». (Instruction, Rituel du 6e Grade de C.B.C.S., 1784).

Les portes du « Sanctuaire »….. quel Sanctuaire ?

Un avertissement prévient pourtant que tous ne sont pas appelés vers ces domaines :

« Mais, mon Bien-Aimé Frère, tous les Chevaliers ne sont pas pénétrés des rayons qui en émanent ; il en est qui, victimes de l’habitude et des préjugés, ferment les yeux avec dédain et retournent sur leurs pas ; d’autres en entre­voient l’éclat et la beauté, sans avoir le courage de les fixer constamment ; d’autres enfin, jugeant mieux de leur origi­ne et de la noblesse de leur être, ne négligent rien pour se rendre dignes de les contempler. Soyez du nombre de ces derniers, mon Bien-Aimé Frère. Par une scrupuleuse atten­tion sur vous-même, écartez les préventions, consultez vos forces et surtout, ne négligez pas votre intelligence, ce flam­beau lumineux pour ceux dont l’amour de la Vérité est l’unique mobile ». (Ibid.).

Il y a donc un « Sanctuaire » nous apprend l’Instruction de C.B.C.S., où tous les Chevaliers ne sont pas appelés, détenteur des « rayons de la Vérité », ouvert à ceux qui ne négligent pas d’exercer leur intelligence ayant pour mobile l’amour de la Vérité.

Voilà qui est très intéressant.

d) L’Ordre est une classe d’instruction secrète

L’Instruction donne un avertissement solennel au nouveau Chevalier, avertissement que beaucoup ne comprennent pas : « vous redevenez apprenti dans un ordre de choses dont le seul vrai Maître est au ciel », et par delà cet avertissement, l’Ordre confesse une chose cruciale :

« l’Ordre des Chevaliers Maçons de la Cité Sainte vous fait un aveu qui ne vous donne aucun droit : il est une classe d’instruction qui fut longtemps tenue secrète et à laquelle celui qui vous en parle dans ce moment n’a peut-être et n’aura peut-être jamais part ». (Instruction C.B.C.S.,Ibid.).

L’Ordre des C.B.C.S., est une « classe d’instruction qui fut longtemps tenue secrète » ?

Les paroles deviennent de plus en plus mystérieuses assurément !

e) L’initiation rectifiée est dépositaire d’une « Science universelle »

Si nous poursuivons notre examen, pour savoir sur quoi porte cette instruction tenue secrète, on tombe sur cette indication : « l’Initiation parfaite doit être une initiation à des connaissances générales et plus élevées.» (Ibid.).

Comment, l’initiation parfaite, dont on sait qu’elle est détenue au sein du Sanctuaire selon ce qu’en dit positivement l’Instruction, relèverait de connaissances plus élevées que celles délivrées aux Chevaliers, et qui nous révèlerait des lumières sur le christianisme sous le nom de « Science universelle » ?

C’est en effet exactement ce que soutient le rituel des C.B.C.S. :

« Les connaissances parfaites nous furent apportées par la Loi spirituelle du christianisme, qui fut une initiation aussi mystérieuse que celle qui l’avait précédée : c’est dans celle-là que se trouve la Science universelle. Cette Loi dévoila de nouveaux mys­tères dans l’homme et dans la nature, elle devint le complé­ment de la science. Elle est la plus sublime, la plus élevée, la plus parfaite de toutes, enfin la seule à désirer pour un vrai Chevalier de la foi. » (Ibid.)

Résumons-nous : Par delà les vérités de la sainte religion chrétienne, le christianisme est donc une initiation mystérieuse détenteur de connaissances parfaites connues sous le nom de « Science universelle », dont le Sanctuaire de l’Ordre est le dépositaire.

C’est tout à fait ça, et c’est en effet ce qu’affirme clairement l’Instruction destinée aux C.B.C.S.

Conclusion : « il existe encore des Maîtres dans cette Science importante… »

Très bien mais comment accéder à ce Sanctuaire et recevoir les lumières de cette « Science universelle », dont on aura compris qu’il s’agit d’un enseignement, c’est-à-dire d’une « doctrine » ?

Voici la réponse de l’Ordre ; il n’y en aura point d’autre plus explicite, puisque le 6e Grade de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte, est le dernier des Grades ostensibles du Régime rectifié.

Ce qui est dit à cet instant, est  donc tout à la fois peu et beaucoup.

Lisons avec attention :

« Tout ce que nous savons, tout ce que nous pouvons vous révéler de ce secret, c’est qu’il existe encore des Maîtres dans cette Science importante : vous appren­dre à les chercher, vous dire à quels signes ils peuvent vous reconnaître, c’est satisfaire à tous nos engage­ments, et, nous osons le dire, vous avoir rendu le plus important service que l’homme puisse attendre de ses semblables ». (Ibid.)

Comme l’écrivait Joseph de Maistre, à qui nous laisserons nous délivrer les derniers mots sur cette question : « Que d’autres que leur génie appelle aux contemplations métaphysiques cherchent dans la nature même des choses les preuves de notre doctrine… » (Mémoire au duc de Brunswick-Lunebourg(1782). 

Note.

1. On notera la position de Joseph de Maistre par rapport aux dogmes de l’Eglise et de ses conciles – alors que l’auteur des Soirées était profondément marqué par la lecture des écrits d’Origène et croyait en l’existence d’une tradition secrète, d’une discipline réservée, d’une science de « l’Arcane », tout catholique intransigeant qu’il fût -, qui eut une attitude relativement audacieuse sans doute partagée par Willermoz et par tous ceux qui adhérèrent à la sainte doctrine parvenue d’âge en âge par l’Initiation jusqu’à nous, soutenant que les définitions dogmatiques furent imposées à l’Église et qu’elles « cachent », plus qu’elles ne protègent, la vérité : « Les saintes Écritures : jamais il n’y eut d’idée plus creuse que celle d’y chercher les dogmes chrétiens : il n’y a pas une ligne dans ces écrits qui déclare, qui laisse seulement apercevoir le projet d’en faire un code ou une déclaration dogmatique de tous les articles de foi. (…) jamais l’Église n’a cherché à écrire ses dogmes; toujours on l’y a forcée. La foi, si la sophistique opposition ne l’avait jamais forcée d’écrire, serait mille fois plus angélique : elle pleure sur ces décisions que la révolte lui arracha et qui furent toujours des malheurs…. L’état de guerre éleva ces remparts vénérables autour de la vérité : ils la défendent sans doute, mais ils la cachent. (…) le Christ n’a pas laissé un seul écrit à ses Apôtres. Au lieu de livres il leur promit le Saint-Esprit. ‘‘C’est lui, leur dit-il, qui vous inspirera ce que vous aurez à dire’’ » (J. de Maistre, Essai sur le Principe Générateur des constitutions politiques, § 15, P. Russand, Lyon, 1833).